Nous avons eu la chance de converser la semaine dernière avec le traileur Xavier Thévenard. Le champion d'ultra-trail fête cette année ses 10 ans d'activité dans cette exigeante discipline. Il a, durant toutes ces années, connu de belles victoires, quelques difficultés évidemment, mais il a surtout toujours su garder des yeux admiratifs face aux montagnes qu'il gravissait. Rencontre avec ce traileur émérite, aussi passionné qu'au premier jour.
Bonjour Xavier, même si la plupart de nos lecteurs te connaissent déjà, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Bien sûr ! Je m’appelle Xavier, j’ai 32 ans et je suis natif du Massif du Jura. J’ai vécu les vingt premières années de ma vie aux Plans d’Hotonnes, avec mes parents et ma grande fratrie, deux frères et une sœur. Mon activité professionnelle, aujourd'hui, est de pratiquer le trail en haut niveau. Avant de vivre de cette passion à temps plein, j’ai passé plusieurs diplômes et j’ai exercé d’autres métiers. J’ai notamment un diplôme de charpentier en poche, un autre d’éducateur sportif et pour finir une diplôme d’Etat pour le ski de fond. J’ai aussi été moniteur de ski de fond pendant plusieurs hivers, mais je dois avouer que je ne suis plus réellement actif dans cette profession ces derniers temps.
Ta passion du trail est désormais devenue ton métier à plein-temps : comment le gères-tu au quotidien ?
Je sais que c’est une chance de pouvoir devenir un professionnel dans le trail, mais je sais également que ça ne va pas durer éternellement. J’essaie donc de mettre toutes les chances de mon côté pour que cette période de ma vie dure le plus longtemps possible, parce que c’est ce que j’aime faire. Être traileur professionnel, c’est une autre façon de vivre. C’est un métier qui offre pas mal de libertés, ça me permet de rester dehors tout le temps et de concevoir mes journées comme je le souhaite. Bien sûr, il y a quelques contraintes, avec de l’entraînement quotidien, de la préparation mentale et des objectifs précis à atteindre, mais j’adore ce mode de vie qui me permet de me dépenser, bouger, voir la nature et profiter de mes libertés. Finalement, ce qui me motive au quotidien, ce ne sont pas les compétitions, mais plutôt ce mode de vie alternatif.
Pratiquais-tu déjà la course à pied lorsque tu étais enfant ?
Effectivement, la course à pied, c’est un sport que l'on a toujours pratiqué avec mes frangins et ma frangine depuis qu’on est tout petits, pour la simple et bonne raison qu’on a grandi aux Plans d’Hotonnes. Pour ceux qui ne connaissent pas, les Plans d’Hotonnes, c’est un endroit très isolé : un cul-de-sac au cœur du Massif du Jura ! Mes parents tenaient une auberge au pied des pistes de ski de fond, et on avait donc très souvent du monde à la maison. Des fois même un peu trop, et comme on était un peu sauvages, on aimait bien s’échapper. On partait en courant à l’autre bout du Plateau de Retord pour se sentir moins oppressés par tout ce monde qu’il y avait chez nous. On a vraiment été éduqués en symbiose avec ce cadre naturel que l’on avait à disposition.
En plus de cela, la course à pied, c’était à l’époque notre seul moyen de déplacement. Pour rejoindre le copain le plus proche, il fallait tout de même parcourir une dizaine de kilomètres, j’y allais donc en courant. Finalement, le fait de courir pour me déplacer, ça a dû m’habituer à ne pas avoir peur des longues distances.
Tu faisais de la course à pied, certes, mais comment en es-tu arrivé à faire de l'Ultra-Trail, ce sport qui en fait trembler plus d’un ?
J’ai toujours adoré les longues distances. Dans tous les sports, c’était quelque chose qui m’attirait quand j’étais jeune. Quand j’étais gamin, il m’arrivait de sortir ma carte IGN, de trouver des itinéraires qui me paraissaient sympa, et de les faire juste par curiosité de voir quelle vue on avait du haut de telle ou telle montagne. Les distances pour y accéder m’importaient peu, j'aimais bien réaliser mes projets perso, souvent un peu farfelus !
J’ai pratiqué pendant de nombreuses années le biathlon, j’ai même été en sport étude, mais ça ne me correspondait pas vraiment. L'effort était trop violent et je me lassais assez vite. Je trouvais ça ennuyeux de rester deux heures dans un stade de biathlon, à tourner en rond, et puis ça m’importait peu d’être plus fort que mes copains. Forcément, avec un tel état d’esprit, mes résultats n’étaient pas géniaux. Et puis un jour, au lycée, j’ai fait une course intitulée la Transju’Trail, un Ultra-Trail organisé par la même équipe d’organisation que la Transjurassienne. Cette année-là, ils avaient créé un challenge qui regroupait le classement de deux courses : celle de ski de fond, puis celle de trail. Comme j’étais fondeur, j’ai réussi à décrocher une belle place sur la Transjurassienne et ça m’a motivé à relever ce challenge. Le parcours de ce trail était de 70 km, une distance qui me faisait très envie à l’époque. J’ai rencontré beaucoup de défaillances pendant la course, mais j’ai compris que l'Ultra-Trail était un sport qui pouvait m’intéresser. J’ai participé à ce challenge en 2009, et en 2010 je remportais la CCC, le plus petit parcours de l’UTMB, à Chamonix. A partir de cette victoire, ma carrière de traileur était lancée.
Justement, lorsque tu as gagné la CCC en 2010, tu arrivais en véritable Outsider sur la compétition. Quelles ont été tes sensations lorsque tu t'es retrouvé projeté sur le devant de la scène en remportant cette course mythique à Chamonix ?
Il faut savoir qu’en 2010, il n’y avait pas encore la foule que l'on voit aujourd'hui dans la raquette d'arrivée. Il y avait quand même du public à l’arrivée, mais très peu. Et puis surtout, cette année-là, la météo était dantesque ! Au moment de mon arrivée, il pleuvait beaucoup, donc le comité d'accueil s’était restreint de lui-même. J’ai tout de même pu partager beaucoup d’émotions avec le public qui était présent pour moi à ce moment-là.
Le fait de passer de traileur amateur à athlète connu et reconnu par le grand public a-t-il eu un impact sur toi ?
Ça n'a jamais été une volonté de ma part de devenir un athlète professionnel. Mon but est de pratiquer mon sport comme je le pense, comme j’en ai envie et surtout parce que c’est ce qui me botte. Tout s’est donc déroulé très naturellement, j’ai rencontré des personnes qui m’ont aidé à progresser, et derrière, je me suis fixé des objectifs. J’ai tenté l’UTMB, par exemple, parce que c’est une course qui m’a toujours fait rêver, et j'ai finalement pu atteindre cet objectif rapidement. Petit à petit, j’ai commencé à gagner ma vie grâce à ce sport, et j’en suis très content. Je n’avais jamais envisagé d’en faire mon métier, ce n’était pas du tout mon objectif, mais finalement, j’en ai eu la possibilité, et tant mieux ! J’ai juste eu à dire oui ou non, à accepter des propositions, à saisir les opportunités que l'on m’offrait et ça m’a ouvert des portes vers l’activité professionnelle que je fais aujourd’hui. Ce qui est sûr, c’est que je continuerai la course à pied toute ma vie, mais la course avec un dossard et des sponsors... je ne sais pas encore combien de temps ça va durer ! (rires de Xavier)
Comment as-tu été accueilli par le monde du trail lorsque tu as commencé à accumuler les victoires ?
On peut dire que j’ai vraiment été bien accueilli. C’est vrai qu’à l’époque où je suis arrivé, on en était aux débuts de la médiatisation de la discipline. Comme ce n’était pas encore un sport très connu, ça devait jouer sur la bonne ambiance générale. Aujourd’hui, je trouve que l’état d’esprit des pratiquants reste encore très bon enfant. Comme on est en relation directe avec un milieu naturel magnifique, on partage un peu tous les mêmes valeurs. On est sur la même longueur d’ondes : la course c’est une chose, certains sont là pour la gagne, mais pour la plupart d’entre nous, la finalité est simplement de courir dans la montagne. Il y a aussi une très forte notion d'entraide sur les courses de trail, et il est très important que l’on arrive à la faire perdurer !
Justement, cet été, tu as tenté de battre le record de rapidité sur le parcours du GR20. Plusieurs traileurs t’ont épaulé, dont Guillaume Peretti, l’ancien détenteur du record. Comment s’est passée cette phase d’entraide ?
Lorsqu'on se lance dans un tel projet de tentative de record, il est indispensable d’étudier le parcours à l’avance et d’essayer de se faire aider le plus possible. Je suis allé faire mes repérages l’année dernière avec Bruno Prédondelle, qui m’a donné un coup de main pour contacter les meilleurs locaux, dont Guillaume, et quelques autres traileurs corses habitués du GR20. On est donc partis tous ensemble sur les montagnes corses, pendant quatre jours. Finalement, avec la crise sanitaire, les événements et les courses qui s’annulaient tous les uns après les autres, je me suis dit que s’il y avait bien une année pour tenter le record, c’était bien l’année 2020 ! J’ai donc rappelé tout le monde, et ces traileurs corses m’ont beaucoup aidé pour toute l’organisation logistique sur place.
J’ai beaucoup d’attaches en Corse, car mes parents y habitent la moitié de l’année, mais aussi parce que je suis inscrit dans un club Corse. Avoir pas mal de connaissances dans le coin m’a beaucoup aidé pour mettre en place ce projet. L’entraide sur les sessions d’entraînement et le partage qu’il y a eu autour de cet enjeu était vraiment une belle expérience. C’est d'ailleurs ce que l’on voulait créer autour de ce projet : une aventure qui n’était pas basée uniquement sur une personne, mais plutôt sur plusieurs traileurs s’aventurant ensemble dans la montagne Corse. A mes yeux, on y est arrivés ! Ce n'était certainement pas l’expérience la plus simple dans laquelle je me suis lancé (rires), mais finalement, j'en ressors avec de très bons souvenirs et c’est le principal.
Pourquoi avoir choisi le GR20, l'un des sentiers les plus difficiles, comme record à battre ?
Comme mes parents ont habité en Corse (ndlr : les parents de Xavier tenaient une charmante auberge en Corse), j’y vais au moins une fois par an, et à force de me promener sur ce GR, ça a fait germer des idées dans ma tête. Honnêtement, si mes parents n’avaient pas été installés en Corse, je ne pense pas que j’aurais eu l’idée de me lancer sur ce projet ! Et bien sûr, ce qui a alimenté ma motivation, c’est le goût du défi. Quand même, c’est le GR20 ! Un grand chemin, très connu, qui comporte des références prestigieuses, et François (ndlr : D’Haene) qui détient le record actuel sur le parcours. C’était donc pour moi l’année où il fallait le faire et je ne regrette pas du tout de l’avoir fait.
Envisages-tu de le retenter, ce fameux record ?
Pour l’instant, non, je n’en ai pas envie. Je ne réponds pas pour autant avec un non catégorique, parce qu’on ne sait jamais ce qui peut se passer dans le futur. Je trouve qu’il y a déjà beaucoup de choses à faire autour de chez moi, et ça me botte tout autant. Je vais peut-être plus me concentrer là-dessus en ce moment, surtout en ces périodes de confinement.
Qu’est-ce qui t’as permis de te relancer après cet échec sur le GR20 ? Comment as-tu fait pour retourner sur les chemins avec la même motivation ?
En fait, ma vision du trail est assez éloignée de la mentalité des compétiteurs. Si demain, il n’y a plus de compétitions, j’irai quand même courir dans la montagne. J’aurais toujours des objectifs personnels à relever. Je pense que c’est grâce à cette vision que je n’ai jamais eu de mal à me motiver à retourner courir, même après une expérience difficile. Au contraire, les échecs me donnent envie de rebondir avec de nouveaux projets. Cet été, j’ai enchaîné le GR20 avec des projets super sympas ! Par exemple, j’ai réalisé un tour vertical du lac d’Annecy, et j’ai participé au trail de l'Echappée Belle avec mon frangin, pour le soutenir. Je suis aussi allé me faire suer sur le 43 bornes de l’UTCAM pour me challenger. Ces petits détours m’ont permis de changer d’environnement et d’ambiance pendant un temps, histoire de voir mon sport sous un nouvel angle. Et ma foi, pour les nouveaux objectifs, on verra bien de quoi l’année prochaine sera faite !
As-tu des projets déjà définis pour cet hiver ?
En début d’année prochaine, j’ai quelques projets à skis, mais pour commencer à s’entraîner, on va déjà attendre la neige. J’ai aussi quelques idées un peu farfelues pour le trail, qui sortent de l'ordinaire. Le but, ça ne sera pas forcément de me mettre en conditions dossard tout au long de l’année prochaine, mais plutôt de profiter du Jura et de m’amuser un peu (rires).
Avec toutes ces annulations de compétitions en raison du Covid-19, on entend de plus en plus dire que le trail et surtout l'Ultra-Trail vont devenir des sports où la création de contenu sera bientôt aussi importante que les compétitions, comme c’est déjà le cas pour le ski ou le snowboard. Penses-tu que certains traileurs vont finir par ne se consacrer qu’aux images ?
Oui, je pense que c’est possible, d’ailleurs, je le fais moi-même de temps en temps. Je coupe les entraînements et les compétitions pour me concentrer sur d’autres projets pendant un temps, alors pourquoi pas les autres ? Se concentrer sur le contenu vidéo permet d’obtenir le soutien des marques, ce qui nous donne de la visibilité et donc plus de possibilités. En tant que traileur, ça nous permet de montrer à nos partenaires que nos savoirs ne se limitent pas exclusivement à courir vite et longtemps. Je pense que de plus en plus de projets visuels vont voir le jour dans le milieu du trail, surtout cette année, qui est si particulière pour tous.
Personnellement, si je fais des projets vidéos de temps en temps, c’est surtout pour satisfaire mes sponsors. Ce n’est pas trop dans ma philosophie de partager tout ce que je fais sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, je me prête à ce jeu pour rendre la pareille à mes sponsors, mais demain, lorsque je serai moins performant, je n’essayerai pas de me reconvertir en créateur de contenu. Au contraire, ce sera vraiment m’enlever une épine du pied que de m'épargner toute cette partie communication, Je me rends compte que ma notoriété, c’est une petite zone d’influence, donc j’essaie de jouer avec ça pour prêcher la bonne parole. Mais de là à devenir « influenceur », à continuer à être présent dans les médias sans dossards, uniquement avec des films, ce n’est pas quelque chose qui m'attire.
Tu as justement récemment utilisé ton « influence » pour annoncer publiquement que tu accompagnais Kilian Jornet sur son projet de fondation écologique. Pour quelles raisons ?
Pour moi, il y a un lien assez évident entre le trail et l’écologie. En tant que traileurs, nous évoluons dans des endroits naturels magnifiques et incroyables, nous sommes donc directement sensibilisés à la préservation de ces lieux. Il faut aujourd'hui travailler avec les différents acteurs du sport pour essayer de devenir plus respectueux de l'environnement. Je suis conscient qu’il y a beaucoup d’enjeux économiques, sociaux et financiers et que des mesures ne seront pas si faciles à mettre en place. Avec la fondation, nous sommes là pour essayer de fixer des objectifs. Les marques et les partenaires vont-ils nous suivre et essayer d’aller dans notre sens ? Je pense que oui, parce que j’observe une réelle volonté de faire bouger les choses, même si cela mettra du temps. Il y a beaucoup d’inertie, mais j’espère que ça va finir par porter ses fruits.
Toujours par respect pour l’écologie, tu as annoncé cet été que tu ne prendrais plus jamais l’avion. Cela veut-il dire que tu ne feras plus jamais de courses outre-mer ?
Oui, complètement, mais ce n’est pas très grave ! Il y a déjà tellement de choses à faire autour de la maison, je suis sûr que je ne vais pas m’ennuyer. Quand je regarde mes beaux-parents et mes parents, ils n’ont presque jamais pris l’avion, et ce n’est pas pour autant qu’ils sont malheureux. Ils arrivent à faire plein de choses à côté de chez eux, et ça leur suffit amplement. Faire 5 000 km pour aller courir sur une course à l’autre bout du monde, ça n’a plus vraiment de sens pour moi. Je ne suis pas un exemple parfait en tant qu’athlète, mais j’essaie de faire de mon mieux. Je ne prends donc plus l’avion, et j’essaie de réduire au maximum mon impact carbone au quotidien. Je pense qu’il n’y a pas de petits ou de grands gestes, il faut juste que tout le monde fasse des efforts dans ce sens.
Chez Hardloop, nous essayons d'appliquer la valeur : « consommer moins pour consommer mieux ». Dans le même temps, nous essayons au maximum de choisir des produits écologiquement conçus et» durables. As-tu une solution pour ne pas trop impacter la planète avec tes choix d’équipement ?
J’essaie, de plus en plus, de me tourner vers un équipement durable, en choisissant par exemple des chaussures résistantes, avec des composantes 100 % recyclables. J’essaie également d'opter pour des shootings photos à proximité de chez moi, au lieu d’aller en faire à l’autre bout de l’Europe. Toutes ces petites choses me permettent de diminuer mon empreinte sur la planète, et j’espère qu’au fil des années, tout le monde finira par jouer le jeu.
Remarques-tu des changements sur les compétitions de trail, que ce soit au niveau des sponsors ou des autres traileurs pro, en faveur de l’écologie ?
Oui, et j’en vois de plus en plus. En tout cas, avec les courses et les partenaires avec lesquels j’ai choisi de travailler, il y a des changements. Mais en même temps, les partenaires qui m’accompagnent aujourd’hui sont en accord avec mes valeurs et mes convictions, c’est d’ailleurs pour ces raisons que je travaille avec eux. J’ai choisi des marques qui sont réellement écolos, qui ne font pas simplement du greenwashing. C’est une chose très importante pour moi !
Merci Xavier pour cette interview, on espère te revoir bientôt dans notre magazine !
En bonus : découvrez les immanquables de Xavier Thévenard !
Crédits photos (dans l'ordre d'apparition): (1)©Marc Daviet - (2,3,4,5)©Ben Becker