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Marion Poitevin, première femme CRS de haute montagne

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Rencontre avec Marion Poitevin

Elle est celle qui a su relever un défi que beaucoup pensaient irréalisable : conquérir les bastions masculins du monde de l'alpinisme. Elle compte à ce titre trois grandes premières sociétales remarquables dans sa carrière, et non des moindres : 1ère femme à avoir intégré le groupe militaire de haute montagne (GMHM), 1ère femme instructrice à l'EMHM, et 1ère femme secouriste CRS Montagne. Elle est également 3ème femme guide professeur à l'ENSA. Entre sa passion dévorante pour la montagne, ses victoires et ses moments de doute, et sa nouvelle vie de maman, Marion Poitevin nous livre les aventures de sa vie d'alpiniste pour le moins atypique. 

Bonjour Marion, bien que tu sois une figure incontournable dans le monde de l’alpinisme, pourrais-tu te présenter à nos lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?

Je m'appelle Marion Poitevin, je suis secouriste CRS Montagne et également Guide de Haute Montagne. Je suis une pratiquante d’escalade, d’alpinisme et de ski alpin de manière plus générale. Depuis quelques années, je suis également présidente d’un club CAF qui s’appelle Lead The Climb.

Comment as-tu réussi à t’intégrer au monde si masculin des guides de haute montagne ?

Je suis devenue monitrice d’escalade à 20 ans, sur une idée de mon papa : je n'y avais à vrai dire même pas pensé ! A 23 ans, j’étais membre de la première Equipe Nationale d’Alpinisme Féminine ENAF. J’avais la liste de courses en montagne pour me présenter au probatoire du diplôme de Guide de Haute Montagne, mais malgré cela, j’ai hésité à m’inscrire, de peur de rater. Je savais qu'environ 150 personnes s’inscrivent chaque année, et que seulement 40 entrent en formation. Concrètement, cela signifiait que j'allais devoir être plus forte que  110 hommes! L'idée que « les garçons sont plus forts que les filles », et les barèmes sportifs différents à l’école, m'ont d'abord persuadée que je n’avais aucune chance. Ce n'est qu'après une discussion avec une amie que j'ai réalisé qu’une femme entraînée peut être plus forte qu’un homme. Je me suis donc entraînée sérieusement, et cela a payé, puisque j’ai réussi le probatoire au 2ème essai. Je suis ainsi devenue la 17ème femme guide diplômée, et nous sommes aujourd’hui une trentaine de femmes diplômées sur environ 1700 guides actifs au total.

Rencontre avec Marion Poitevin

Penses-tu qu’il y ait encore peu de femmes dans le domaine de l’alpinisme en raison de la rigueur de cette discipline ?

Le problème ne vient selon moi pas des compétences ou de la force physique des femmes, qui sont aujourd’hui à niveau égal avec celui des hommes, mais de la culture alpine. Il est difficile pour une femme de s’essayer à l’alpinisme car c’est un milieu qui a été largement investi par les hommes depuis sa création. Toutes les premières ascensions et les premiers exploits de ce sport ont été réalisés par des hommes. Pourtant, des femmes se sont très rapidement ajoutées au tableau alpin français, comme par exemple George Sand, l’une des premières femmes membres du Club Alpin français (CAF), et surtout cofondatrice, faisant du CAF le seul club alpin en Europe à accepter les femmes dès sa création en 1874. Contrairement à nos voisins anglais ou suisses, les femmes ont toujours été acceptées dans les clubs d’alpinisme français, mais pour des raisons qui excluaient toute forme de performance. Les objectifs pouvaient être multiples : entretenir sa force, être en bonne santé, s’aérer… Si cette vision a quelque peu changé, les femmes n’ont en revanche toujours pas accès à la performance au même titre que les hommes. Celles pour qui c’est le cas se comptent sur les doigts d’une main.

Rencontre avec Marion Poitevin

Tu comptes trois grandes “premières” dans ta carrière, mais également dans le monde de l’alpinisme : 1ère femme du GMHM, 1ère femme instructrice à l'EMHM, et 1ère femme secouriste CRS montagne. Comment t’y es-tu prise pour te faire ta place ?

J’ai effectivement fait quelques premières, mais ce n’était vraiment pas fait exprès ! (rires) Ma grande passion pour la montagne, et le fait que j’ai toujours voulu y passer du temps, y sont pour beaucoup. Une histoire d’égo se cache également sûrement derrière tout cela. Plus jeune, lorsqu’on me disait que je ne pouvais pas faire quelque chose parce que j’étais une fille, je faisais tout ce qui était en mon possible pour démontrer le contraire. Cette manière de fonctionner a d'ailleurs été pendant longtemps un véritable moteur dans ma carrière.  

Si j’ai obtenu ces premiers postes en tant que femme, c’est sûrement en raison de ma naïveté au moment où j’ai commencé l’alpinisme. Je pensais réellement que depuis les années 80, les inégalités hommes-femmes étaient de l’histoire ancienne. Lorsqu’on m’a proposé de rentrer dans le Groupe Militaire de Haute Montagne, mon premier réflexe a donc été de penser au rythme physique et sportif de l’armée, et me demander si j’allais réussir à tenir le coup. Ce n’est que dans un second temps que je me suis rendue compte que j’allais être la seule femme parmi une dizaine d’hommes. Ma folle envie de participer à ces expéditions était si importante qu’elle a pris le dessus sur mes appréhensions !

Etre une femme a tout de même pu représenter un frein à plusieurs occasions. On ne m’a par exemple pas donné autant d’opportunités pour réaliser de grandes courses ou de grandes expéditions. Et ce constat perdure : encore aujourd’hui, les femmes qui réalisent de grandes performances en alpinisme le font généralement avec leur compagnon de vie. Les cordées mixtes amicales de haut niveau sont encore rares, à mon sens.

Comment s’est passé ton accueil au sein du GMHM en tant que première femme à intégrer le groupe ?

Le simple fait d’avoir été accueillie au sein du groupe est déjà un très bon accueil en soi, puisque cela ne se faisait pas avant. Lorsque l’équipe nationale d’alpinisme féminine a été créée en 2006, le commandant du GMHM s’est alors dit que c’était l’occasion de donner l’opportunité à l’une de ces passionnées de rejoindre le groupe d’élite du GMHM. Le commandant était bien conscient que je n’avais pas le même niveau technique et physique que les hommes du groupe, notamment parce que j’avais moins d’entraînement, mais il était très encourageant et rassurant.

Trois mois plus tard, il a malheureusement dû changer de caserne, et c’est à ce moment-là que l’accueil est devenu nettement moins chaleureux. Les autres hommes du groupe n’étaient pas prêts à voir une femme évoluer dans leur milieu, et ils n’étaient pas à l’aise avec ma présence. J’avais beau faire mes preuves, ce que je réalisais n’était jamais suffisant pour mes compagnons de cordée. D’autres problèmes se sont ensuite ajoutés, notamment avec certaines personnes de ma hiérarchie persuadées que je ne venais à l'armée que dans le seul but de me trouver un compagnon. Je devais dormir toute seule dans ma tente au camp de base, parce qu’ils avaient peur de ce qui pouvait arriver si je partageais ma tente avec un homme. Je n’étais en fait plus une alpiniste, mais un bout de viande. Au bout de trois ans et demi dans ce contexte, j’ai demandé mon transfert sur un poste d’instructeur à l’école militaire de Haute Montagne, chez les Chasseurs Alpins. 

Ton statut d’instructrice t'a-t-il permis d’aborder différemment ce clivage homme-femme dans le milieu ?

Je n’ai, en trois ans, eu que des stagiaires hommes, mais la situation était bien différente de celle du GMHM. Le fait que ces hommes soient en apprentissage et évalués quotidiennement joue énormément, en premier lieu parce qu’ils ont envie d’avoir de bonnes notes, mais également parce qu’ils n’ont pas les connaissances nécessaires pour pouvoir remettre en cause mes compétences. Le public des Chasseurs Alpins est également très particulier, parce qu’il n’a pas forcément une grande connaissance de la culture montagnarde. Les recrues sont d’abord formées à l’armée, et sont ensuite mutées à la montagne. Ils ne savent donc pas que très peu de femmes sont guides de haute montagne, et leur point de vue à ce sujet est donc nettement plus ouvert.

Rencontre avec Marion Poitevin

As-tu remarqué une évolution ces dernières années au sujet de l’intégration des femmes dans le monde de l’alpinisme ?

De manière générale, je ne dirais pas que les hommes ne veulent pas de femmes dans le monde de l’alpinisme. L’exclusion persiste de manière beaucoup plus inconsciente, avec un héritage culturel qui nous a longtemps fait croire que les femmes étaient moins fortes physiquement et que l’alpinisme n’était pas fait pour elles. On constate quand même une amélioration au sein des jeunes générations. En l’espace de 30 ans, entre 1983 et 2013, 15 femmes ont été diplômées guides. Entre 2013 et 2020, soit seulement 7 ans, 15 autres l’ont été. Le nombre de femmes guides a donc doublé d’une manière impressionnante ces dernières années. Même si ça ne reste que 30 femmes sur 1700 guides actifs en 2020, on peut quand même y voir une évolution positive.

Tu participes toi-même à ces changements, notamment grâce à la création d’une cordée 100% féminine sous le nom de Lead The Climb. Peux-tu nous expliquer le concept de ce groupe dont tu es la co-créatrice ?

Le concept de Lead the Climb consiste à proposer aux femmes alpinistes des stages de formation à l’autonomie et au leadership dans les sports de montagne. L’idée est de répondre à un réel besoin des pratiquantes : celui de pouvoir se retrouver entre femmes pour pratiquer ensemble sans avoir de pression extérieure. Beaucoup d’entre elles témoignent qu’il est encore difficile en tant que femme de s’inscrire à un groupe d’entraînement, car elles se sentent observées et jugées. Il faut également jouer des coudes pour participer aux sorties, ou être leader sur une cordée. Une fois sur le terrain, ce contexte apporte une pression supplémentaire, à laquelle s’ajoute la peur d’être la moins forte.

Chaque groupe Lead The Climb est composé de 4 à 6 personnes, supervisées par des femmes guides. Le fait d’être encadré par une femme bouscule énormément le jugement des pratiquantes, qui s’identifient plus facilement à leurs partenaires de cordée et se disent qu’elles peuvent accomplir tout autant de prouesses.   

Rencontre avec Marion Poitevin

Depuis la création du club il y a trois ans, le groupe Lead The Climb a-t-il su trouver son public ?

Nous avons actuellement 180 adhérentes, ce qui reste donc un club relativement petit. Ce modèle permet tout de même d’inspirer d’autres pratiquantes. Nous voulons avant tout que nos adhérentes saisissent le message qui consiste à dire que les femmes sont aussi capables en montagne que les hommes, et qu’elles gagnent confiance en elles. Un autre groupe CAF féminin est également en train de se monter en Savoie, qui rencontre lui aussi un petit succès. Le fait que de telles formations voient le jour est encourageant et permet de changer les mentalités petit à petit.

Constates-tu les mêmes changements dans le haut niveau en alpinisme ?

L’évolution est nettement moins franche dans ce milieu-là. Si le nombre de femmes guides augmente, et que les fédérations soutiennent de plus en plus d’athlètes féminines, ce n’est pas encore le cas des sponsors. Quelques marques, surtout en Amérique du Nord, commencent à jouer le jeu en montrant des femmes en action dans la montagne dans leur communication, mais la plupart du temps, elles sont plutôt en situation de contemplation. Du côté français, j’estime à seulement 10% la part des femmes alpinistes sponsorisées.

A ton avis, pourquoi les femmes ont-elles plus de difficultés à trouver des sponsors ?

Je pense que la première explication tient au fait qu’elles n’osent pas demander, car elles ont le sentiment que leurs performances ne valent rien. Le fait qu’il n’y ait pas de catégories différenciées par le sexe dans les compétitions d’alpinisme engendre également une situation dans laquelle les femmes se retrouvent généralement au bas des classements. Or, dans la majorité des cas, les sponsors ne s’intéressent qu’aux gagnants des compétitions. 

Un autre problème tient également au fait que les critères des team managers pour sélectionner les nouveaux athlètes ne sont souvent pas très objectifs. Ils vont généralement privilégier des personnes avec qui ils ont plus d'affinités, notamment leurs propres copains, ce qui dessert l'alpinisme au féminin. 

Le fait d’être devenue maman depuis peu a-t-il changé ta manière de te positionner en tant qu’athlète, vis-à-vis de tes sponsors ?

J’oriente depuis quelque temps mes performances sur des sorties à la journée uniquement. Beaucoup d’alpinistes en font de même lorsqu’ils deviennent pères. La différence, en ce qui me concerne, c’est que j’ai perdu tous mes sponsors et mes dotations matérielles durant ma grossesse. Au-delà d’une problématique financière, j’ai surtout été touchée par l’aspect moral. Perdre tous ses sponsors durant sa grossesse est quelque chose de très violent, au même moment où justement, je me demandais si j’allais réussir à revenir à mon niveau sportif d’avant grossesse. Mes sponsors m’ont alors expliqué que je ne correspondais plus aux critères de communication de l’entreprise, alors que je m’attendais plutôt à un cadeau de naissance de la part de mes partenaires de longue date. Même si je ne cours plus après les prouesses de haut niveau en alpinisme, de nombreux hommes avec une expérience et un niveau technique moindre touchent plus de sponsors que moi. 

Rencontre avec Marion Poitevin

Comment ont évolué ta carrière et tes envies depuis l'arrivée de ta petite fille ?

Je n’ai pas cherché à obtenir de nouveaux sponsors après cela. Côté sport, j'ai grimpé une voie en 8a un an après l'accouchement, ce qui est belle performance, et m'a donc confirmé que j'avais retrouvé un très bon niveau. Je réalise une dizaine de sorties par an en tant que guide, et j'apprécie toujours autant d’accompagner des clients à conquérir les sommets qui leur font envie. Ensuite, je travaille en tant que monitrice de ski alpin quelques semaines par an. 

Je n’ai plus forcément envie de partir faire de grandes expéditions, mais c’est surtout parce que je n’ai plus envie de partir longtemps sans ma petite fille. J’essayerais dans l’avenir de m’organiser pour l’emmener avec moi sur quelques aventures, mais c’est encore trop tôt. Je me questionne aussi sur l’intérêt de partir à l’autre bout de la planète pour faire une expédition, notamment d'un point de vue écologique. Je suis en ce moment plutôt tournée vers une démarche de réflexion, à la recherche de solutions pour les inégalités hommes-femmes dans le sport. J’ai repris mes études pour suivre une formation à ce sujet, et c’est passionnant ! 

Merci beaucoup, Marion, pour ce moment partagé ! 

Pour terminer en beauté, découvrez les 5 immanquables de Marion pour partir à la conquête des sommets !

Le kit de survie de Marion Poitevin

Crédits photos (dans l'ordre d'apparition): (1,3,5)©Fred Marie Photographie - (6)© Guillaume Bodin 

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